AHA Lëtzebuerg est surpris et interpellé par la mise en place de croix au cimetière forestier public et non-confessionnel de Dudelange, mais aussi très satisfait que les responsables communaux ont vite réagi et vont rectifier l’erreur commise
AHA Lëtzebuerg (Allianz vun Humanisten, Atheisten an Agnostiker a.s.b.l.) constate avec grande satisfaction que de nombreuses communes ont procédé, ces dernières années, à la mise en place d’un cimetière forestier afin de répondre à une demande croissante dans la population du Luxembourg à pouvoir disposer de lieux de sépulture alternatifs attrayants et à pouvoir célébrer des cérémonies funéraires alternatives en phase avec les valeurs du défunt/de la défunte et de sa famille et de ses ami.e.s.
Le caractère naturel d’un cimetière forestier nous semble particulièrement en adéquation avec nos valeurs humanistes, car il souligne notre conscience du fait que nous humains faisons tous partie de la nature et nous rappelle que les molécules qui nous composent feront un jour partie d’autres organismes.
Le caractère public et donc neutre au niveau philosophique et confessionnel d’un cimetière forestier nous semble aussi particulièrement adapté au récent développement de notre pays. En effet, de plus en plus de citoyennes et de citoyens se définissent comme ne pas ou ne plus appartenant à une religion, respectivement n’ont pas ou plus une pratique religieuse régulière, respectivement se définissent comme membre d’une religion autre que la religion catholique. De plus en plus de citoyennes et de citoyens n’ont aussi plus peur de dire ouvertement qu’ils/elles sont athées, respectivement non-croyant.e.s. Il incombe ainsi aux autorités publiques d’une société ouverte et démocratique (a) de ne pas favoriser ni l’une ni l’autre conviction philosophique ou religieuse dans la mise à disposition de services publics et (b) aussi de protéger les minorités philosophiques et religieuses contre d’éventuels débordements de groupes philosophiques et religieux dominants. La mise à disposition de cimetières publics, neutres et donc ouverts à toute personne – peu importe ses convictions philosophiques ou religieuses nous semble donc indispensable.
Lors de l'inauguration du cimetière forestier, vous aviez, Monsieur le bourgmestre de la Ville de Dudelange, Dan Biancalana souligné que « c'est un espace naturel où l'on pourra se recueillir et qui nous permet de proposer une nouvelle manière de célébrer des funérailles, plus simplement. »[1] et RTL avait rapporté qu’un abri en bois, construit au bord du chemin vers l’espace du cimetière, avait « volontairement [été] laissé vierge »[1].
Dans la brochure de la Ville de Dudelange on peut lire que le « cimetière forestier régional ‘Gehaansbierg’ est un cimetière proche de la nature où les changements saisonniers fourniront une décoration naturelle. Ceux qui choisissent ce type d’inhumation optent volontairement pour une forme naturelle de sépulture ne nécessitant pas de décoration individuelle. On renoncera donc aussi bien à un signalement particulier et personnel du lieu d’inhumation qu’à toute autre intervention qui modifierait le caractère naturel des lieux comme p.ex. la plantation ou le dépôt de fleurs. »[2]
Nous sommes convaincu.e.s que beaucoup de personnes religieuses se réjouissaient, comme nous, de cette nouvelle offre d’un lieu de sépulture, proche de la nature, même si elles ont éventuellement d’autres raisons pour le faire que nous.
Tout semblait donc indiquer qu’il s’agissait d’un projet dont nous ne pouvions que nous réjouir et vous féliciter. Il est dans la mouvance vers une plus grande prise en considération de la diversité des convictions philosophiques et religieuses dans notre pays et du droit des personnes non-religieuses à faire leurs propres choix de vie, sans avoir à subir passivement les débordements notamment de l’église catholique.
Cette mouvance a été entamée lorsque le gouvernement du Luxembourg a procédé, depuis 2013, à une certaine séparation (financière et symbolique) de l’État et de l’église et qu’une majorité des député.e.s au parlement défendent plus systématiquement le principe de la neutralité de l'État en matière de religion.
Nous nous étions aussi réjouis que vous, Mme Claudia Dall'Agnol, échevine de la Ville de Dudelange, nous aviez donné votre support moral en 2010 lors de la fondation de notre association sans but lucratif [3]. Vous disiez que vous vous réjouissiez du fait que nous allions nous mobiliser en faveur du droit de chacune et de chacun de façonner librement sa vie, sans contraintes et pressions religieuses et que vous étiez contente que les personnes athées et agnostiques avaient – enfin – trouvé quelqu’un qui portait leur voix et qui défendait leurs droits et intérêts.
Nous ne pouvons donc que vous dire à quel point nous avons été surpris.es et interpellé.e.s lorsque nous avons découvert récemment, via certains de nos membres qui habitent à Dudelange, que l’abri en bois du cimetière forestier a été fermé par des portails en métal sur lesquels se trouvent des croix. Aucun autre symbole philosophique ou religieux n’y avait été intégré.
Il nous semble que nous devons en effet nous manifester lorsque les personnes non-religieuses doivent subir l’omniprésence et la dominance d’une symbolique religieuse dans des lieux où elles pensaient légitimement pouvoir s’en libérer, même si ou plutôt justement parce que la majorité des gens n’y voient pas de problème.
A aucun moment nous n’avions supposé que vous ayez pris cette décision de façon stratégique, voire par mépris pour les personnes non-chrétiennes, mais que cette décision était plutôt issue d’un problème de communication ou éventuellement d’un manque de sensibilité ou d’attention pour les droits et sensibilités des personnes non-chrétiennes chez l’une ou l’autre personne impliquée dans ce processus.
Nous nous réjouissons donc que vous ayez rapidement compris la signification du symbole qui a été apposé (apparemment à votre insu) et quelles réactions de consternation légitimes il pouvait provoquer chez certaines personnes, notamment chez les familles qui avaient fait le choix conscient du cimetière forestier pour son caractère proche de la nature et surtout neutre au niveau des convictions philosophiques et religieuses et leur permettait donc d’utiliser cet espace public selon leurs propres convictions. Merci pour votre sensibilité !
Nous sommes aussi très contents que vous avez très rapidement décidé et communiqué que vous alliez faire enlever le portail en métal orné de croix et de le faire remplacer par un portail qui est neutre en matière de convictions philosophiques et religieuses et soit donc inclusif de toutes les citoyennes et tous les citoyens. Vous pourrez le faire en demandant à l’artisan en question soit d’intégrer TOUS les symboles philosophiques et religieux existants, afin de n’exclure personne [4], soit de n’intégrer AUCUN symbole philosophique ou religieux, ce qui nous semble préférable et bien plus simple [5].
Merci d’avoir rapidement compris que le fait d’intégrer (respectivement de garder) des croix dans ce lieu de sépulture, pourtant nouvellement mis en place par la commune et à l’intention de toutes les citoyennes et tous les citoyens de la Ville de Dudelange (et des communes avoisinantes), pouvait être ressenti comme une gifle au visage (1) de tous ceux et de toutes celles qui se sont engagé.e.s pendant des décennies en faveur du principe de sécularité et (2) de toutes celles et tous ceux (et de leurs proches) qui ont choisi le cimetière forestier de Dudelange parce qu’elles ou ils voulaient justement profiter d’une alternative en phase avec leurs valeurs humanistes et athéistes.
Oui, si vous aviez décidé de laisser ces croix, vous auriez (du moins implicitement) signifié aux personnes non-chrétiennes que ce lieu de sépulture ne s’adresse pas vraiment à eux, et qu’elles et ils seraient considéré.e.s comme des citoyennes et citoyens de deuxième classe, qui devraient, encore une fois, subir l’omniprésence et la dominanced’une institution dont elles et ils voulaient éventuellement se distancier plus ou moins fondamentalement.
Merci d’avoir compris que la croix est en effet le symbole par excellence de la foi chrétienne et n’est nullement un symbole neutre ici, comme pourraient le faire valoir certaines ou certains. Et si l’on pense ici que la croix n’est que symbole pour un lieu de sépulture et n’a aucune signification religieuse spécifique, alors on fait plutôt preuve de son insensibilité et de son ignorance culturelle que d’autre chose. Et dire, comme d’autres, qu’il faut être tolérant et qu’on peut simplement ignorer ces croix, c’est aussi se tromper. Ce n’est un signe d’intolérance religieuse que d’être interpellé ici par la présence de ces croix, c’est plutôt un signe d’autonomie intellectuelle si nous osons nous opposer à un message de domination et de normativité implicite de la religion chrétienne. Un lieu public neutre doit permettre à toute personne de toute conviction de faire usage du lieu selon ses propres croyances sans devoir « fermer un œil ».
Nous sommes certain.e.s que dans le cas contraire, fictif, où la commune aurait mis en place au cimetière en question uniquement le symbole du Happy Humanist [6], du Monstre de Spaghetti Volant [7] ou celui d’une religion autre que le christianisme, les réactions des citoyennes et citoyens catholiques n’auraient pas tardées, et nous aurions trouvé qu’elles et ils auraient eu raison de se plaindre.
Merci de ne pas vous avoir laissé induire en erreur par ceux qui recourent à l’argument que le catholicisme et ses symboles font simplement partie de l’histoire et des traditions culturelles de notre pays. Ce lieu de sépulture a justement été développé récemment pour mettre à disposition une alternative aux lieux classiques. Chaque culture évolue dans le temps, rien n’est perpétuel et tout doit pouvoir se discuter et être réinventé, en termes de ce que nous voulons conserver et ce que nous voulons abandonner de nos habitudes héritées du passé.
Ne vous laissez pas intimider par celles et ceux qui disent que la présence de ces croix ne dérange point ou peu certaines personnes non-religieuses. Ce n’est pas un argument valide non plus pour dire qu’elles y ont leur place. Cela prouve juste que certaines personnes non-religieuses ont appris à ne plus s’insurger contre la normativité des symboles religieux et pratiques religieuses dans l’espace public et qu’elles ont appris à afficher une certaine résignation et tolérance silencieuse face à la domination culturelle de l’église catholique. Or, il s’agissait ici d’une injustice, d’un manque de considérationpour la diversité philosophique et religieuse et d’un défaut de sensibilité culturelle que nous voulons et devons légitimement contester et combattre. Si en plus, on nous demande de pas nous insurger et de simplement ignorer la présence des croix, alors on nous signifie d’autant plus que nos convictions valent moins que les sensibilités religieuses que d’aucuns veillent à ne pas heurter au nom d’une tolérance mal-comprise. Il ne s’agit pas ici de nos sentiments qui se verraient heurtés par la simple présence d’une croix. Nous sommes assez matures pour endurer que d’autres personnes ont d’autres convictions que nous. Mais nous contestons ici l’inégalité de traitement de toutes les citoyennes et de tous les citoyens, qui aurait été opérée et perpétuée ici par le privilège accordé à une croyance religieuse particulière.
Le fait d’imposer ainsi, dans un espace public et neutre, un symbole chrétien à l’ensemble des citoyennes et des citoyens aurait effectivement été hautement irrespectueux et aurait témoigné soit d’un mépris de la diversité des convictions philosophiques et religieuses et du droit des personnes non-chrétiennes à profiter des services publics en toute neutralité philosophique et religieuse, soit d’une insensibilité et d’une ignorance (qui n’est donc même pas signe de malveillance, mais signe d’un manque de réflexion et de mise en question des habitudes de pensée et de comportement) de la réalité philosophique et religieuse de notre pays. Dans les deux cas, nous aurions trouvé que c’était inacceptable et qu’il fallait y remédier au plus vite.
Nous vous remercions aussi que vous ne vous laissez pas intimider par celles et ceux qui invoque la « cancel culture » pour critiquer votre décision de retirer ces croix d’un lieu conçu, dès le départ, comme lieu neutre et ouvert à toutes et à tous. Il ne s’agit en effet pas d’un lieu de sépulture issu d’une certaine tradition confessionnelle qui aurait été « annulée » ici.
Merci d’avoir réagi rapidement et de façon juste et équitable ! Merci aussi de défendre l’égalité des droits de toutes les citoyennes et citoyens indépendamment de leurs convictions philosophiques et religieuses ainsi que le principe de neutralité des pouvoirs publics en la matière.
Il reste à clarifier comment une telle erreur (manifeste à nos yeux) a pu se produire et comment vous (et d’autres communes) allez éviter que de telles erreurs se reproduisent dans le futur, afin d’éviter les irritations (bien légitimes d’une partie non négligeable de la population) mais aussi les surcoûts induits par de tels manques de sensibilité et d’attention lors de la planification.
Nous nous doutions dès le départ qu’il s’agissait plutôt d’un problème de communication lors de commande du portailque d’un acte de « mauvaise foi » à l’envers des personnes non-religieuses respectivement des personnes religieuses mais non-chrétiennes, qui les aurait implicitement relayées au rang de citoyennes et de citoyens de deuxième classe, derrière « la norme » (implicite) de la religion catholique, dans un espace censé neutre et ouvert à toutes et à tous.
Mais nous pensons aussi qu’un tel problème de communication aurait pu être évité si les personnes impliquées avaient été plus sensibles à la diversité philosophiques et religieuse et donc aussi plus conscientes des implications de leurs actes. Souvent de tels problèmes ne sont pas causés par la malveillance stratégique, mais plutôt par l’indifférence et le manque de sensibilité pour la diversité culturelle, pourtant bien réelle et légitime.
Si vous sentez que vous avez le besoin de sensibiliser et/ou de former vos collaboratrices et collaborateurs en matière d’inclusion philosophique et religieuse, nous pouvons volontiers vous offrir notre aide. Le fait que vous ayez déjà une personne qui s’occupe de l’égalité des chances constitue certes d’un atout ici, comme il s’agit ici aussi d’une question d’égalité de traitement de toutes les citoyennes et des citoyens indépendamment de leurs convictions philosophiques et religieuses. Nous avons d’ailleurs déjà observé qu’il y a un certain besoin de formation à la diversité philosophique et religieuse dans diverses administrations communales du pays, notamment autour des cérémonies funéraires civiles.
Dans l'attente d'une réponse favorable, je vous prie d'agréer, Monsieur le bourgmestre, Mesdames les échevines et Messieurs les échevins, l'expression de nos sentiments distingués.
Allianz vun Humanisten, Atheisten an Agnostiker Lëtzebuerg a.s.b.l. (AHA),
[1] https://5minutes.rtl.lu/actu/luxembourg/a/1303305.html
[2] https://environnement.public.lu/dam-assets/fr/forets/beschkierfecht/Depliant-cimetiere-Dudelange-F-web.pdf
[3] https://www.aha.lu/index.php/ueber-aha/vip-statements/14-ueber-aha/vip-statements/168-claudia-dallagnol
[4] Mais cela risque de devenir très difficile, étant donné le nombre de communautés philosophiques et religieuses et l’évolution des schismes. Autant ne pas essayer de donner une place équitable à tout le monde.
[5] On pourrait éventuellement considérer un motif d’ornement proche de la nature avec lequel chacune et chacun peut s’identifier.
[6] https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Happy_Human_black.svg#/media/File:Happy_Human_black.svg
[7] https://en.wikipedia.org/wiki/Flying_Spaghetti_Monster